Toutes les marques anciennes ont une histoire. Sont-elles toutes pour autant des marques d’héritage ? Quelle définition donner à ce concept parfois galvaudé ? Je vous propose de partager ici mes recherches sur le sujet, réalisées dans le cadre de mon mémoire de MBA intitulé « Comment rajeunir des marques d’héritage dans le luxe ? ».
1/ Une définition éclairante donnée par la recherche académique
La littérature scientifique abonde sur les marques et l’héritage. Centrons-nous sur une définition donnée par les chercheurs Urde, Greyser et Balmer dans leur article “ Corporate brands with a heritage”, paru dans le Journal of Brand Management en juillet 2007. Selon eux, 5 critères caractérisent une marque d’héritage :
- sa longévité
- avoir fait ses preuves
- la continuité et la cohérence dans ses valeurs
- l’usage pérenne de symboles
- considérer l’histoire comme élément clé de son identité
Prenons ces critères un par un.
La longévité
Pour les chercheurs, être une marque ancienne est un critère nécessaire mais non suffisant. Ils soulignent aussi la difficulté à préciser ce critère : à partir de combien d’années est-on considéré comme une vieille marque ?
Remarque : nombreuses sont les marques d’héritage qui valorisent leur date de naissance comme signe d'une compétence longuement éprouvée, en particulier dans l’horlogerie, les vins et spiritueux, la gastronomie ou encore la maroquinerie. Certaines l’affichent même dans leur logo.
Avoir fait ses preuves
L'héritage se nourrit de preuves. Les antécédents, les réalisations, le savoir-faire accumulé attestent que la marque tient ses promesses à travers le temps et construisent la crédibilité et la confiance. Autrement dit, l'héritage ne se décrète pas, il est une conquête. Pour les consommateurs, les salariés, les actionnaires ou les partenaires, les preuves du passé sont autant un gage pour le futur.
La continuité et la cohérence dans ses valeurs
Une marque d'héritage doit avoir traversé le temps dans une forme de fidélité à elle-même. S'être développée et actualisée en tenant le cap, guidée par ses valeurs, qui deviennent elles-mêmes constitutives de l'héritage.
L'usage pérenne de symboles
Le logo, les codes, les designs... Utilisés dans les communications sur la durée, ils identifient la marque instantanément, la relient à son histoire et font sens. Prenons comme exemple Hermès : le logo avec la calèche, le H, le petit h, le cheval, les selles et harnais, les ailes, la couleur orange, les outils, les boîtes etc... forment un ensemble de symboles qui signent la marque et communiquent son identité.
Considérer l'histoire comme faisant partie de son identité
Pour les chercheurs, toutes les marques ont une histoire, certaines ont un héritage et peu sont des marques d'héritage. Se positionner comme une marque d'héritage est une décision stratégique de l'entreprise. La décision de placer l'héritage au cœur de la culture de l'entreprise et d'en faire un levier d'action transversal, dans le but de produire de la valeur.
Attention, ne pas confondre héritage et passéisme. L'héritage est ce qui dans le passé donne du sens au présent et construit le futur. Une marque d'héritage incorpore hier, aujourd'hui et demain.
2/ La définition par les professionnels du luxe
Les professionnels que j'ai interrogés à ce sujet s'entendent sur une définition très proche de celle des chercheurs, en y ajoutant deux dimensions.
Avoir marqué son époque
Ils soulignent qu'une marque marque d'héritage a été visionnaire et pionnière à un moment donné. que ce soit à l'origine ou ultérieurement. Elle a innové, a été en rupture, s'est démarquée, a eu un impact. Ce qui explique qu'elle soit restée dans la mémoire. Et bien sûr, elle doit continuer à innover.
Le Made in
C'est peut-être une caractéristique plus saillante pour les marques de luxe.
Il ne s'agit pas forcément de l'origine de la matière première, dont on sait qu'inévitablement elle peut venir de loin.
Il s'agit de fabrication, incluant la main d'oeuvre et le savoir-faire, notamment artisanal. Avec en corollaire, l'idée de qualité, de transmission et d'éthique : un engagement pour la préservation d'un capital immatériel parfois ancestral et une certaine exemplarité dans le patriotisme économique.
Il s'agit aussi de l'ancrage territorial : l'incorporation ou la revendication d'une identité nationale, régionale ou locale. Ainsi une marque d'héritage est-elle souvent connectée à un héritage géographique et culturel.
Par exemple, Chanel continue de fabriquer ses vêtements en France et a racheté 11 maisons et ateliers de métiers d'art, afin de préserver et valoriser les savoir-faire artisanaux français. Regroupés dans la filiale Paraffection, ils défilent chaque année pour la collection "Métiers d'Art".
Les vins et spiritueux, quant à eux, revendiquent leur terroir.
3/ Le point de vue des clients
(interviews auprès de femmes à Paris)
La définition par les consommateurs d'une marque d'héritage repose bien sûr sur des éléments évoqués précédemment par les chercheurs et les professionnels, légèrement reformulés :
- l'âge de la marque
- une histoire, des racines à peu près identifiées. Il faut connaître au moins une partie de l'histoire.
- une fidélité à son histoire, son identité. Donc de la pérennité et de la cohérence dans les actions en retail, en communication et dans l'offre produits.
- un savoir-faire reconnu et qui perdure, une compétence préservée
- une identité territoriale et culturelle.
A cela, il faut ajouter un dernier critère : proposer un ou des produits iconiques anciens et encore présents dans son portfolio. Le fil rouge qui unit le présent au passé de la marque passe aussi par des produits emblématiques, devenus iconiques au fil du temps. On peut citer par exemple les montres Santos et Tank ainsi que les collections Trinity et Love de Cartier, le Kelly et le Birkin d'Hermès, le smoking femme d'Yves Saint-Laurent, le macaron de Ladurée etc...
Cette dernière caractéristique, les produits iconiques, peut sans doute être rapprochée des symboles et preuves de la marque définis par les chercheurs et du caractère impactant ou innovant avancé par les professionnels.
Merci pour votre lecture.
Pour échanger sur votre marque d'héritage, n'hésitez pas à me contacter.
Annie-Paule Quéré
(Article publié sur LinkedIn le 18.12.17)
Pour aller plus loin et lire l'article des chercheurs Urde, Greyser et Balmer auquel je me réfère
https://www.researchgate.net/publication/284442711_Urde_Greyser_Balmer_2007_Corporate_Brands_with_a_Heritage
Crédits photos :
Fauré Le Page : photo personnelle
Ruinart : auteur Josephinekt, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Logo_Ruinart.jpg
Hermès : auteur Martin Abegglen, https://www.flickr.com/photos/twicepix/581453506
Coco Chanel : auteur Marion Golsteijn, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Coco_Chanel_tentoonstelling.JPG
Macarons Ladurée : auteur Louis Beche, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Macaron_I,_August_2008.jpg